« Le numĂ©rique n’est pas un dĂ©tail ni un simple outil. Il est une machinerie qui nous conditionne, nous transcende et modifie en profondeur notre rapport au monde et aux autres. Il constitue le plus grand bouleversement de notre temps. Il ne peut y avoir de prise de conscience Ă©cologique sincĂšre sans lui opposer une remise en question radicale, d’autant qu’il n’a que quelques dĂ©cennies. Vouloir l’amĂ©nager ou y trouver des alternatives, c’est nier l’écologie. Une fois de plus, la dĂ©croissance porte en elle la pertinence, puisqu’elle est seule dans le paysage politique Ă  oser une vĂ©ritable critique de ce projet mortifĂšre. »


Avant propos GJ Nancy Porte Sud

Cet article nous a Ă©tĂ© proposĂ© par Joe Labat, membre de notre groupe GJ Nancy Porte Sud et Ă©galement membre des Amis de la DĂ©croissance Nancy avec lequel nous partageons des valeurs humanistes mĂȘme si nous pouvons avoir des points de vue diffĂ©rents selon les sujets de sociĂ©tĂ©. C'est la dĂ©mocratie !

L'auteur de ce texte sur le numĂ©rique est FĂ©lix Zirgel, un dĂ©croissant vosgien. Nous avons dĂ©cidĂ© de le publier car nous arborons clairement notre appartenance Ă  une mouvance "DĂ©croissance Jaune", c'est Ă  dire une dĂ©croissance harmonieuse qui respecte la justice et la dignitĂ© de tout citoyen. Il n'est bien sĂ»r pas question de demander Ă  ceux qui ont dĂ©jĂ  des difficultĂ©s dĂšs le quinze du mois de se priver plus encore ou d'ĂȘtre taxĂ©s toujours plus sur des produits essentiels pour eux comme le gas-oil de leur automobile par exemple. Facteur dĂ©clencheur du mouvement des Gilets Jaunes, faut-il le rappeler ?

FĂ©lix accompagne son "papier" de ce message « Le numĂ©rique est -selon moi- le sujet le plus important Ă  traiter pour la dĂ©croissance, crucial, mĂȘme, Ă©tant donnĂ© tous les enjeux qui en dĂ©coulent ». Sa rĂ©daction, bien que radicale, soulĂšve de nombreuses questions Ă  laquelle les citoyens ont le devoir de s'intĂ©resser. C'est une excellente base de rĂ©flexion. Actuellement la technologie s'emballe et les rĂšgles manquent cruellement, le numĂ©rique a par certains cotĂ©s du bon (sans le net nous ne pourrions diffuser Ă  grande Ă©chelle ce texte, nos points de vue, nous organiser, nous structurer...) mais sans textes de lois Ă©tablis par et pour le peuple il peut aussi ĂȘtre un Ă©norme danger pour le peu qu'il nous reste de souverainetĂ© Ă  nous les citoyens de la France "d'en bas". Le choix de publier ce texte peut donc sembler paradoxal par rapport Ă  notre propre usage des outils numĂ©riques si on le prend dans toute sa radicalitĂ© mais il ne s'agit pour nous que d'un point de vue, une source de dĂ©bats dĂ©mocratiques.

L'Association Citoyenne Nancy Sud



Le point de vue des Amis de la DĂ©croissance

Lors des Ă©lections territoriales de 2021, le collectif dĂ©croissance-Ă©lections s’était dĂ©jĂ  exprimĂ© au sujet de la fracture numĂ©rique (1). S’il existe une thĂ©matique sur laquelle s’accordent d’une seule voix tous les mouvements et partis de la gauche la plus extrĂȘme Ă  l’extrĂȘme la plus Ă  droite, c’est bien celle du dĂ©veloppement allouable au numĂ©rique.

Chantre actuel de la croissance Ă©conomique, le numĂ©rique est entourĂ© d’un imaginaire et de nombreuses croyances. Il est le plus souvent rĂ©duit Ă  sa partie visible, c’est-Ă -dire « les terminaux numĂ©riques » (tablettes, smartphones et ordinateurs), tandis que son origine, les dĂ©sastres environnementaux et les dĂ©gĂąts sociaux qu’il provoque sont peu Ă©voquĂ©s, voir simplement tus.

Origine

L’Histoire du numĂ©rique demeure vague. Si nous parlons d’un procĂ©dĂ© de communication chiffrĂ©e et binaire (0 et 1), nous pourrions assimiler l’ancĂȘtre du numĂ©rique Ă  l’invention, en 1728, du systĂšme de la carte perforĂ©e de Jean-Baptiste Falcon. Quoiqu’il en soit, il y a dĂ©jĂ  mĂ©prise entre la machine et la technique. Les machines Ă©volueront en permanence et seront de plus en plus sophistiquĂ©es, tandis que l’objectif visĂ© par la technique demeure le mĂȘme ; l’établissement de statistiques, la gestion de calculs ou d’informations, et ce d’une façon mathĂ©matique et rĂ©ductrice de la rĂ©alitĂ©. Aussi et par ailleurs, l’essor du numĂ©rique est intrinsĂšquement liĂ© Ă  celui de l’électricitĂ©, du machinisme, pour finalement se confondre avec celui de l’informatique en gĂ©nĂ©ral.

Si le terme de « rĂ©volution numĂ©rique » fait polĂ©mique, il y a bien eu grĂące Ă  ces avancĂ©es technologiques un dĂ©veloppement de l’industrie sans prĂ©cĂ©dent. Loin du doux rĂȘve hippie des annĂ©es 1980, qui voyait dans l’informatique un moyen de communication mondial menant Ă  une pacification totale de l’humanitĂ©, c’est dans les domaines militaires et industriels que se sont dĂ©veloppĂ©s les arts de la cybernĂ©tique, c’est Ă  dire les sciences des communications et de la rĂ©gularisation dans l’ĂȘtre vivant et la machine.


Machine_d_Hollerith


De l'utilisation massive de machines mĂ©canographiques Hollerith, que la firme amĂ©ricaine IBM fournissait Ă  l’Allemagne nazie pour Ă©laborer les statistiques menant Ă  l’holocauste (2), au Certificat Covid NumĂ©rique de l’Union EuropĂ©enne pour contrecarrer la pandĂ©mie de Covid-19, en passant par « les traders Ă  haute frĂ©quence » (HFT) permettant de traiter les transactions de la bourse en quelques nanosecondes, il faut saisir que le numĂ©rique appartient surtout Ă  une logistique des flux, et donc Ă  une gestion numĂ©raire de la vie dans son ensemble.

C’est dans cette optique que la dĂ©croissance s’inscrit dans la mouvance technocritique (3) ; « la rĂ©volution numĂ©rique » ne pourrait pas se dĂ©finir uniquement comme un ensemble de faits (l'invention de l'ordinateur, l'apparition d'internet, etc.), mais aussi comme une construction idĂ©ologique, au mĂȘme titre que « le progrĂšs ».

Une immatérialité bien matérielle

En matiĂšre d’écologie, la construction idĂ©ologique qui entoure le dĂ©veloppement du numĂ©rique est mensongĂšre dans son essence. Depuis l’indĂ©niable constat des ravages environnementaux provoquĂ©s par les diffĂ©rentes activitĂ©s industrielles telle que la combustion des Ă©nergies fossiles, le numĂ©rique est louĂ© par ses promoteurs comme un moyen de perpĂ©tuer ces mĂȘmes activitĂ©s sans affecter notre milieu. Les technologies numĂ©riques seraient immatĂ©rielles, n’émettraient pas de carbone dans l’atmosphĂšre, ne puiseraient presque aucune ressource naturelle et seraient ainsi les moyens, sinon LE moyen, de permettre une transition vers un monde « respectueux de l’environnement ». Il faut bien admettre, et les alertes en ce sens ne font que pleuvoir ces dix derniĂšres annĂ©es, que non seulement le numĂ©rique est dĂ©pendant des Ă©nergies fossiles, des mĂ©taux dits rares, mais surtout que sa conception est extrĂȘmement polluante, et pire encore, qu’il accroĂźt toutes les activitĂ©s nĂ©fastes pour l’environnement qu’il prĂ©tend remplacer.

« L’ensemble des Ă©quipements numĂ©riques consomme aujourd’hui entre 10 et 15 % de l’électricitĂ© mondiale (
) Mais cette consommation double tous les quatre ans, ce qui pourrait porter la part du numĂ©rique Ă  50 % de l’électricitĂ© mondiale en 2030 – soit une quantitĂ© Ă©quivalente Ă  ce que l’humanitĂ© consommait en... 2008, il y a simplement onze ans. (
) On s’apprĂȘte Ă  extraire de la croĂ»te terrestre plus de mĂ©taux en une gĂ©nĂ©ration que pendant toute l’histoire de l’humanitĂ©. Il faut plus d’or, d’argent, de cuivre, il faut du tungstĂšne et du lithium ; et il faut des « terres rares » (nĂ©odyme, yttrium, cĂ©rium). (
) La sĂ©paration et le raffinage de ces Ă©lĂ©ments naturellement agglomĂ©rĂ©s avec d’autres minerais, souvent radioactifs, impliquent une longue sĂ©rie de procĂ©dĂ©s nĂ©cessitant une grande quantitĂ© d’énergie et de substances chimiques : plusieurs phases de broyage, d’attaque aux acides, de chloration, d’extraction par solvant, de prĂ©cipitation sĂ©lective et de dissolution. » (4)

Au moment mĂȘme oĂč Ă©merge dans le dĂ©bat publique la question prĂ©occupante du manquement d’eau, faut-il Ă©galement rappeler l’engloutissement d’eau pure nĂ©cessaire Ă  la fabrication des circuits Ă©lectroniques? Pour ne citer qu’un cas en France;

« Pour nettoyer les plaques de silicium sur lesquelles sont gravĂ©s les circuits Ă©lectroniques, l’Alliance (unitĂ© de production de STMicroelectronics implantĂ©e Ă  Crolles 2) engloutit 700 mÂł d’eau par heure (l’équivalent d’une ville de 50 000 habitants) et soumet les collectivitĂ©s locales Ă  ses exigences : 150 000 euros d’amende par heure Ă  payer Ă  l’entreprise en cas de dĂ©faillance dans la fourniture d’eau » (5)

Consommation dĂ©mesurĂ©e d’électricitĂ© (et donc de charbon), d’eau, de mĂ©taux rares
 Avec ses milliers de kilomĂštres de cĂąble, ses infrastructures et ses objets, ses ondes, le numĂ©rique n’est clairement pas compatible avec une Ă©cologie sincĂšre.


Data_center


De plus en plus pointĂ© du doigt, ce dĂ©sastre n’est malheureusement pas si visible. L’extractivisme toujours plus gourmand, par exemple, est majoritairement subit Ă  l’autre bout du monde. Heureusement, un vent nouveau souffle sur l’Europe qui voit son commissaire au marchĂ© intĂ©rieur, Thierry Breton, batailler pour une souverainetĂ© numĂ©rique. Soulignons – ironiquement – l’aspect positif d’un tel projet : nous allons massacrer directement notre environnement plutĂŽt que celui des autres. BientĂŽt, les mines et les saccages se feront Ă  l’intĂ©rieur des frontiĂšres europĂ©ennes, avec pour modĂšle le projet Emili, une des plus grandes mines de lithium au monde qui verra le jour dans le Massif Central d’ici 2027.

Un désastre humain et social


Quant aux conflits dus Ă  l’accaparement de ces ressources, on ne peut pas non plus parler de responsabilitĂ©. Du travail Ă  la chaĂźne dans les usines de micro-composants Ă  l’exploitation d’enfants dans les mines, le numĂ©rique Ă  aussi son « coĂ»t » en vies humaines. L’exemple le plus connu est le dĂ©bat virulent pour dĂ©nombrer les victimes indirectement ou directement liĂ©es Ă  l’extraction du coltan (Ă©lĂ©ment indispensable Ă  tous les gadgets numĂ©riques) en RĂ©publique DĂ©mocratique du Congo oĂč se trouvent les plus importants gisements mondiaux (6).


Extracion_Coltan_Congo


Pour en arriver Ă  un tel point, il faut considĂ©rer le fait que « les technologies numĂ©riques permettent un Ă©loignement entre le sujet et l’objet ». Autrement dit, ces technologies - via internet – permettent de dissimuler le coĂ»t humain ou environnemental de toute chose par un Ă©loignement physique et spatial. En rĂ©sulte les dĂ©localisations qui se multiplient, un dumping social augmentĂ©, un accroissement des transports et leurs flux de marchandises d’une vitesse toujours plus sidĂ©rante, une apparition nĂ©vrotique d’entrepĂŽts aux abords des villes ; que de rĂ©jouissances, en sommes, pour s’accaparer un bien ou un service d’un seul clic.

Or s’il est un domaine oĂč le numĂ©rique peut se targuer d’ĂȘtre virtuel, c’est bien dans celui d’une prĂ©tendue amĂ©lioration des services. En France, qu’il s’agisse de la SNCF, de la Poste, de la santĂ© ou de l’éducation ; partout oĂč le numĂ©rique s’immisce -aussi rĂ©publicain soit-il- nous observons une uniformisation des tĂąches qui rend l’humain interchangeable ou supprimable, et des mĂ©tiers qui se dĂ©shumanisent (7). L’assurance chĂŽmage, qui jadis Ă©tait un service dit social, est en passe de devenir, avec France-Travail, une machine permettant d’identifier toutes les personnes en capacitĂ© de travail, au bĂ©nĂ©fice des entreprises privĂ©es. Les maisons « France-services », qui auraient pu ĂȘtre une solution face au tout-numĂ©rique, deviennent une excuse Ă  la suppression de l’ensemble des services autrefois accessibles dans chaque commune.

BientĂŽt, tous les aspects de la vie en sociĂ©tĂ© auront leurs corollaires virtuels. Tout tend Ă  ĂȘtre virtuel ; les dĂ©bats, les rĂ©unions, la mĂ©decine, les rencontres amoureuses, les aides Ă  la personne, les manifestations, etc. Et le pendant rĂ©el, lui, disparaĂźt Ă  mesure de la croissance de ces univers virtuels. Les personnes qui habitent en zone dite blanche n’ont plus accĂšs aux services Ă©lĂ©mentaires, celles qui ne maĂźtrisent pas « les outils numĂ©riques » sont stigmatisĂ©es et considĂ©rĂ©es comme victimes d’illectronisme, quant Ă  celles qui refusent toute injonction, elles sont marginalisĂ©es par la force des choses.

Enfin, le « progrĂšs » dit numĂ©rique ne s’attelle pas seulement Ă  une prĂ©tendue amĂ©lioration de la communication, Ă  une « dĂ©matĂ©rialisation » des usages et Ă  un univers des loisirs. On cherche souvent Ă  oublier « l’ambivalence du « progrĂšs technologique », Ă  savoir que le numĂ©rique sert Ă©galement d’arme ; cyberattaques, innovations en matiĂšre d’armement de pointe ou de gĂ©o-ingĂ©nierie


Un désastre sanitaire

A une Ă©poque oĂč l’on martĂšle qu’il nous faudrait « protĂ©ger les plus vulnĂ©rables », il est curieux et notable de constater la part de dĂ©ni partagĂ© autour des dangers que prĂ©sente le numĂ©rique sur la santĂ© tant physique que psychique.

Tout temps passĂ© devant un Ă©cran est dĂ©jĂ  de l’activitĂ© physique en moins. Or c’est le moindre mal si l’on Ă©voque l’effet de la « lumiĂšre bleue » (qui affecte gravement la vue), les perturbations du dĂ©veloppement chez l’enfant (hyperactivitĂ©, troubles de l’apprentissage, troubles du comportement), les consĂ©quences insupportables pour les personnes dites Ă©lectrosensibles dont les Ă©tudes sont ralenties ou tues (8), sur le sommeil, etc..


Ecrans


Sur le plan psychique, on constate un nombre grandissant de personnes souffrant d’anxiĂ©tĂ© sociale et de repli, des troubles affectifs et comportementaux liĂ©s Ă  une pornographie omniprĂ©sente et accessible aux enfants, un dĂ©sinvestissement de la vie de famille ou de couple par l’intrusion d’internet dans les moments intimes ou de partage
 et un lien social toujours plus fragile par l’entremise des milles et unes applications nous menant droit vers un monde sans contact. Sans Ă©voquer l’addiction en tant que telle et voulue par leurs concepteurs, des Ă©crans sur les personnes . Sans Ă©voquer non plus les comportements pervers rendus possibles tels que le chantage, le harcĂšlement, la violence
 et un appauvrissement sans prĂ©cĂ©dent du langage et des contenus.

Un danger pour la démocratie

Depuis l’avĂšnement de l’ordinateur et de l’internet pour tous, le numĂ©rique a quittĂ© son berceau militaro-industriel pour s’inviter dans les foyers. D’abord objet de loisir et de curiositĂ©, il s’est immiscĂ© aussi bien dans le monde du travail que dans nos intimitĂ©s, jusqu’à devenir « indispensable » pour vivre en sociĂ©tĂ©. Toutes les interactions qui en rĂ©sultent produisent des donnĂ©es qui sont, pour la majoritĂ© d’entre-elles, rĂ©coltĂ©es par les GAFAM (Google Apple Facebook Amazon Microsoft). Cette concentration de donnĂ©es dans les mains de quelques multinationales sont rĂ©guliĂšrement critiquĂ©es, surtout depuis les rĂ©vĂ©lations d’Édouard Snowden sur les pratiques de la NSA.

Lieu commun de la critique du numĂ©rique, l’aspect totalisant et totalitaire d’une surveillance rendue possible et effective est en passe de devenir rĂ©alitĂ©. Depuis une dizaine d’annĂ©es, c’est dĂ©jĂ  le cas en Chine sans que personne ne s’en Ă©meuve, oĂč chaque citoyen se voit attribuer une « note sociale » en fonction de son comportement. C’est le crĂ©dit social, le Zhima Credit (9).

En Europe, la gestion de la pandĂ©mie de Covid19 a dĂ©montĂ© la prĂ©fĂ©rence d’une sociĂ©tĂ© sĂ©curitaire numĂ©rique Ă  une dĂ©mocratie sociale. Du jour au lendemain, la firme Orange a livrĂ© au gouvernement les gĂ©olocalisations de tous ses clients. Des sĂ©nateurs ont vu en la dĂ©mocratie un frein pour la sĂ©curitĂ©, que seul le numĂ©rique pouvait alors garantir. En perspective, il Ă©manait de ce rapport que les objectifs suivants seraient louables ; contrĂŽle des dĂ©placements, contrĂŽle des frĂ©quentations, contrĂŽle des transactions (10). Le Certificat EuropĂ©en Covid19, toujours effectif aux frontiĂšres europĂ©ennes, n’est qu’un premier aperçu d’une application qui pourrait ĂȘtre utilisĂ©e Ă  d’autres fins, comme celui d’un Ă©ventuel « passe Ă©cologique »... On comprend mieux l’injonction subie d’avoir un smartphone et l’intĂ©rĂȘt d’inciter les jeunes Ă  s’en servir le plus tĂŽt possible.


Surveillance


Cependant, la notion de contrĂŽle et de surveillance n’est qu’un aspect du monde totalitaire qu’incarne le numĂ©rique. En premier lieu, il suffit d’aborder la question du choix, et donc de la libertĂ©. En 2025, les rĂ©seaux 2 et 3G disparaĂźtront progressivement en France et en Europe. Cela sous-entend que les tĂ©lĂ©phones dits « Ă  touches » ne pourront plus fonctionner. Il sera alors « obligatoire » d’avoir un smartphone. Au mĂȘme titre que la DSP2 (directive europĂ©enne) exige un code de « sĂ»retĂ© » pour accĂ©der Ă  son compte bancaire. Ces obligations auront leurs consĂ©quences rĂ©galiennes. Comment vivre en sociĂ©tĂ© tout en se passant d’un compte en banque ou d’un numĂ©ro de tĂ©lĂ©phone ?

Quant Ă  l’avenir, l’univers numĂ©rique est un gage de nombreuses dystopies. N’oublions pas qu’étant liĂ© au monde marchand, le plus sombre est possible, Ă  venir, et garanti par le travail abondant de savant fous partisans du transhumanisme.

Conclusion

En quelques dĂ©cennies, le numĂ©rique s’est imposĂ© au cƓur de toutes les sociĂ©tĂ©s. Loin des avantages qu’il promeut, nous venons d’énumĂ©rer les aspects les plus flagrants qui en caractĂ©risent l’insoutenabilitĂ©. Ravages Ă©cologiques, dĂ©sastres humains et dĂ©mocratie menacĂ©e.. Pourtant la liste n’est qu’à peine entamĂ©e, et l’on peut s’insurger du manque de prĂ©caution vis-Ă -vis d’une technologie qui transforme en profondeur nos civilisations en dictant nos vies. Car c’est bien notre rapport au vivant et Ă  la vie en gĂ©nĂ©ral que le numĂ©rique modifie en profondeur.

Que promet une gĂ©nĂ©ration bercĂ©e aux vidĂ©os pornographiques ? Que devient notre rapport au temps et Ă  l’espace? Quelle place Ă  l’apprentissage, au savoir et Ă  l’autonomie laissons nous aux gĂ©nĂ©rations Ă  venir (qui ne connaissent dĂ©jĂ  plus la vie sans internet) ? Quelle est la nature de nos Ă©changes ? Quelles sont les consĂ©quences sanitaires au long terme de l’utilisation massive du numĂ©rique ? Quel impact sur notre intĂ©gritĂ© et sur la possibilitĂ© de vivre autrement, quand ce que vous lisez-lĂ  prĂ©cisĂ©ment est dĂ©jĂ  sur un Ă©cran ?

Dans sa motion d’orientation, le parti GĂ©nĂ©ration Écologie s’explique ainsi :

« Nous sommes porteurs d’une transformation dĂ©mocratique des institutions et de l’État et de nouvelles conquĂȘtes pour la souverainetĂ© des citoyens, Ă  commencer par l’exigence d’une souverainetĂ© numĂ©rique qui prolonge dans le cyberespace le projet rĂ©publicain pour mettre la rĂ©volution numĂ©rique au service de tous plutĂŽt qu’au service des oligopoles de l’internet. »

Une rĂ©volution numĂ©rique pourrait-elle donc se faire au service de tous aprĂšs avoir Ă©tĂ© le fer de lance du libĂ©ralisme Ă©conomique, celui-lĂ  mĂȘme qui est Ă  l’origine desdits oligopoles ? Comment ne pas faire le lien entre la destruction bientĂŽt achevĂ©e des services sociaux « grĂące » au numĂ©rique et le pouvoir outrecuidant des Gafams ?

Nous ne pourrions pas limiter notre critique du numĂ©rique Ă  sa seule prĂ©dation sur l’environnement. Cette critique commence d’ailleurs Ă  trouver un Ă©cho chez un grand nombre d’associations et mouvements politiques, notamment Ă©cologistes, qui n’y voient qu’un aspect nĂ©gatif Ă  corriger.
Or pour nous, il n’est pas plus acceptable de verdir le numĂ©rique que la voiture et le nuclĂ©aire. Nous semblons ĂȘtre les seuls Ă  en dĂ©montrer l’ambivalence certaine.


Exit


Si le numĂ©rique permet de signer une pĂ©tition en ligne contre la travail des enfants dans les mines de cobalt, il demeure la raison d’ĂȘtre de ces mĂȘmes mines. Nous ne pouvons nous rĂ©signer Ă  la dissonance cognitive qui nous ferait plaindre les consĂ©quences dont on chĂ©rirait les causes. Il n’est absolument pas possible de ne garder que « les bons cĂŽtĂ©s » du numĂ©rique sans nous soucier de ses effets dĂ©vastateurs, notamment dans nos relations sociales et sur la dĂ©mocratie.

Mieux qu’une plaidoirie naĂŻve pour un cyberespace rĂ©publicain, trouvons en guise de conclusion cet extrait de l’essai « La libertĂ© dans le coma » du Groupe Marcuse (
)

« [
] les technologies numĂ©riques font dĂ©sormais partie du monde oĂč nous vivons. Elles structurent nos existences en profondeur, d’une maniĂšre bien diffĂ©rente et plus concrĂšte que des drogues. Une vie dĂ©barrassĂ©e de ces technologies ne peut-ĂȘtre pour l’instant qu’un horizon utopique (en espĂ©rant que ce ne soient pas des circonstances cataclysmiques qui nous en dĂ©livrent un jour brutalement
.). S’en passer complĂštement dans un mouvement de subversion de ce monde n’est sans doute pas rĂ©aliste. Pour autant, cela nous semble une bonne idĂ©e rĂ©gulatrice. Chercher Ă  s’en dĂ©tacher au maximum, c’est simplement prendre au sĂ©rieux les idĂ©aux de libertĂ© et d’autonomie. »

Félix Zirgel, du collectif décroissance-élections, le 4 mai 2024.

Ce collectif composĂ© de citoyens dĂ©croissants et sympathisants a vocation Ă  vivre pendant les pĂ©riodes Ă©lectorales et un peu avant, pour les prĂ©parations. Son but est d’utiliser le temps mĂ©diatique des Ă©lections pour faire connaĂźtre les concepts de la DĂ©croissance.


Sources

(1) La Décroissance, c'est le bon sens - Fracture numérique

(2) IBM et l’holocauste, l’alliance stratĂ©gique entre l’Allemagne nazie et la plus puissante multinationale amĂ©ricaine, Edwin Black, aux Ă©ditions Robert Laffont.

(3) Lire Ă  ce sujet, « Technocritiques » de l’historien François Jarrige, aux Ă©ditions La DĂ©couverte.

(4) Célia Izoard, « Les bas-fonds du capital » Z, n°12 automne 2018, p.12

(5) Le tĂ©lĂ©phone portable, gadget de destruction massive, p.4, par PiĂšces et main d’Ɠuvre, Services compris, n° 93

(6) « La face honteuse du métal bleu », Akram Belkaïd, le Monde Diplomatique, juillet 2020, page 21.

(7) « All Computer Are Bastards », Dossier CQFD, n°151, février 2017

(8) « Tous irradiĂ©s, enquĂȘte 5G, le scandale invisible des ondes Ă©lectromagnĂ©tiques », La BrĂȘche, n°1 – janvier/fĂ©virer 2023

(9) « Bienvenue dans l’enfer du social ranking » Mara Hvistendhal, 2018

(10) Crises sanitaires et outils numĂ©riques ; rĂ©pondre avec efficacitĂ© pour retrouver nos libertĂ©s, rapport d’information du sĂ©nat n° 673 (2020-2021) dĂ©posĂ© le 3 juin 2021

(11) p.182, La libertĂ© dans le Coma, Essai sur l’identification Ă©lectronique et les motifs de s’y opposer - Groupe Marcuse, Ă©ditions La Lenteur. « Quand on voit couramment aujourd’hui des tracts pestant contre le capitalisme financier et invoquant la dĂ©mocratie directe, mais signĂ©s Facebook (une des entreprises dont les perspectives de profit sont les meilleures), on se dit qu’il y a vraiment un problĂšme et que le rapport de la majoritĂ© de nos contemporains avec l’ordinateur a tout d’une addiction. »


Pour aller plus loin

  • « L’ñge du capitalisme de surveillance », Shoshana Zuboff, Zulma essai.

  • « Contre l’alternumĂ©risme », Julia LaĂŻnae et Nicolas Alep, La Lenteur

  • « Internet ou le retour Ă  la bougie », HervĂ© Krief, RĂ©silience

et tout le travail fourni et les combats menés par :

  • Le collectif « PiĂšces et main d’Ɠuvre »

  • Le collectif « Écran Total »

  • Le collectif « Faut Pas Pucer »

  • Le collectif de l’Appel de Beauchastel contre l’école numĂ©rique


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