« Penser la violence »

27 April, 2022, 6:30 pm Violences blog-header-image

Le mercredi 27 avril, Sébastien Ginhoux, agrégé d'histoire et doctorant en histoire médiévale, nous proposait cette conférence-débat sur le thème « Penser la violence ».

Nous étions ce soir là une vingtaine réunis dans la salle du Vélodrome à d'abord écouter l'exposé très structuré et clair de Sébastien puis à débattre.


L'enregistrement de l'exposé de Sébastien Ginhoux

Sébastien nous a donc proposé une intervention portant sur la notion de la violence, dont le but était de rappeler les diverses définitions possibles de la violence, afin d’en retirer une seule, efficace et pertinente et qui permette d’orienter la réflexion et l’action.

Cela a posé dans le même temps d’autres questions, autour de ce qu’est être humain ou faire société. Ainsi, ont été abordées plusieurs dimensions de la notion de violence, avec à l'appui de cette réflexion des exemples concrets, de manière à montrer l’inefficacité d’une définition qui confondrait violence et usage de la force.


Pourquoi faut-il définir la violence ?

Suite à la conférence et à une question soulevée lors du débat qui a suivi, voici la réponse de Sébastien Ginhoux exposée en 5 minutes.


Si nous sommes "pressés"...

Sébastien Ginhoux a réalisé, pour les visiteurs plus adeptes d'un document textuel, cette synthèse de la conférence qu'il a tenue :
(une version plus courte est proposée plus bas)

Introduction

Dans le contexte actuel, le terme de violence est appliqué, notamment dans la langue politico-médiatique, à des cas d’une extrême variété. Que l’on parle de « la violence des propos tenus », de « la violence des manifestants briseurs de vitres » ou de « la violence du meurtrier d’enfant », cela ne renvoie pas à la même réalité. En conséquence, contrairement à une première impression possible, ce qu’est la violence n’a rien d’évident. Pire encore, sons sens galvaudé permettrait à deux personnes d’en parler ensemble sans parler de la même chose, rendant ainsi tout dialogue impossible.
Il devient par conséquent nécessaire d’en donner une définition unique, claire et universelle (caractéristiques qui définissent la notion de définition).

I- Examen de définitions problématiques

La première question que l’on peut se poser est celle de l’origine de la violence : est-elle naturelle à l’homme ou non ? Si l’on considère que oui, on aboutit à une situation dans laquelle l’homme, dans l’état de nature, est libre et violent. Or, étant violent, il détruit la liberté des autres et se trouve soumis à leur violence, en retour. Par conséquent, pour que les hommes soient libres, il faut leur imposer des entraves, et plus il y a d’entraves, moins l’homme est libre, moins il y a de violence, donc plus il y a de liberté. En conséquence de quoi, moins l’homme est libre, plus il est libre. L’absurdité de cette proposition la rend inopérante. Cette vision, pourtant, irrigue la mentalité politique contemporaine et les discours qui prônent la réduction de la liberté au profit de la sécurité, arguant que la sécurité est nécessaire à la liberté.
La violence ne peut donc pas être considérée comme un trait naturel de l’homme.

Si l’on considère, à présent, la violence comme étant le recours à la force, la simple observation des mécanismes d’autodéfense (jusqu’aux réflexes corporels) d’un individu ou d’un animal suffit à montrer qu’il existe un recours à la force qui est naturel, et donc que l’usage de la force ne peut être réduit à la violence. Sans doute y a-t-il des usages de la force qui sont violents, mais tous ne le sont pas. Affirmer le contraire revient à affirmer que la violence est naturelle et donc que la liberté est à elle-même son propre contraire.

Deux éléments sont donc à retirer : la violence n’est pas naturelle et l’usage de la force ne lui est pas réductible.

II- Elaboration d’une définition opérante

Pour élaborer une définition opérante de la violence, partons d’Aristote : selon lui, la violence est « ce qui, venant de l’extérieur, empêche un mouvement intérieur de s’accomplir ». Dans ce cas, le mouvement intérieur est ce qui vient de soi, qui est présent antérieurement à l’interaction avec autrui ou plus profondément, donc ce qui est naturel. Au contraire, ce qui vient de l’extérieur est ce qui vient de la réalité, donc les autres font partie.
Par conséquent, établissons que la violence est ce qui empêche un mouvement naturel de s’accomplir. Pour savoir ce qu’est la violence, il nous faut donc définir ce qu’est le mouvement naturel de l’homme.

Celui-ci prend deux formes : le besoin et le désir, qui sont ce qui constitue l’être humain. Les besoins relèvent de la survie (manger, boire, dormir, respirer, etc.), cependant que les désirs sont ce qui permet de donner du sens à son existence (écrire un livre, composer un morceau de musique, etc.). A ce titre, les besoins relèvent de la réalité cependant que les désirs relèvent du symbolique. Les désirs sont donc ce qui permet de créer du lien entre ce que l’on est et ce qu’il y a dans la réalité. Par exemple, un individu qui aime soulager les gens, constate que dans la réalité il y a des malades : son désir est alors de devenir médecin. Devenir médecin n’est pas en soi un besoin, c’est ce qui permet de donner du sens à sa vie. Le symbolique, de manière plus générale, comprend donc tout ce qui permet de faire le lien, tout ce qui sert d’intermédiaire entre la personne et la réalité. A ce titre, il inclut tout ce qui est de l’ordre de la représentation (culture, art, langage…).
Donc, des parents qui empêcheraient leur enfant de manger font preuve de violence, mais font également preuve de violence ceux qui feraient tout pour l’empêcher de faire des études de médecine dans le cas évoqué plus haut.

La violence qui s’attaque au besoin étant assez évidente, intéressons-nous plutôt à celle qui s’attaque au symbolique, plus sournoise et plus difficile à identifier. Quelles formes peut prendre cette violence fait au symbolique ?

Un premier exemple est celui du refus de la reconnaissance due à l’individu, c’est-à-dire refuser de le reconnaître dans son désir, refuser de le reconnaître dans sa dignité d’homme. C’est ce que défend Hegel dans la Phénoménologie de l’Esprit : selon lui, chercher à être reconnu dans sa dignité d’homme est un mouvement naturel. Ce mouvement naturel est empêché lorsque deux individus veulent le monopole de cette reconnaissance, une reconnaissance absolue, sans accorder à l’autre celle qui lui est due. Cela débouche sur un affrontement, lors duquel celui qui cède devient esclave de celui qui l’emporte et lui accorde dès lors une reconnaissance absolue, qui se trouve pourtant dénuée de valeur car elle provient d’un être devenu inférieur. En outre, ce rapport entre maître et esclave ne peut être digne, car il est fondé sur la violence.
La solution, pour Hegel, se trouve dans la reconnaissance réciproque, qui implique que cette reconnaissance ne peut plus être absolue. Cela ne constitue cependant pas un renoncement, dans la mesure où la reconnaissance absolue est un fantasme, lié à l’imaginaire et que la réalité rend impossible.
Un exemple type serait la phrase « dans une gare, on croise des gens qui ont réussi et des gens qui ne sont rien ». Un tel propos est d’une violence formidable et incite à la violence et à l’affrontement. En outre, il est négatif y compris pour ceux qui « ont réussi » : en leur disant qu’ils ont droit à une reconnaissance absolue, puisqu’eux sont quelque chose, il contribue à les maintenir dans l’imaginaire et à les couper de la réalité. Pour les autres, il implique qu’il est normal qu’ils ne soient pas reconnus comme des êtres humains.

Un second cas serait celui de contraindre l’homme à être collé au réel. Le symbolique, rappelons-le, est ce qui sert d’intermédiaire entre l’homme et la réalité. Or, donner du sens à ce qui nous arrive est un mouvement naturel de l’homme. Par conséquent, réduire l’accès d’un individu au symbolique contrarie ce mouvement naturel, lui interdit de trouver du sens dans ce qui lui arrive. Là se situe alors la violence.
Deux exemples. Un individu qui exercerait un travail qu’il déteste simplement pour gagner de l’argent se trouverait perdu dans une réalité dans laquelle sa vie n’aurait pas de sens et n’aurait pas d’autre fin que sa survie, il subirait donc une violence. Pour prendre un exemple un peu plus extrême, un individu plongé dans une situation de guerre se trouverait submergée par une réalité tellement atroce qu’il lui deviendrait impossible d’en parler : elle lui ferait donc face sans médiation. C’est ce qui produit le traumatisme, qui intervient lorsqu’on vit un événement qu’on ne peut pas passer en représentation, lorsque l’on ne peut pas traduire la réalité en représentation.

La violence est donc ce qui empêche le mouvement naturel de l’homme de s’accomplir, donc ce qui s’en prend au besoin aussi bien qu’à la capacité à générer du symbolique. Ce dernier cas peut prendre plusieurs formes : le refus de reconnaitre autrui dans son désir et contraindre un tiers à renoncer à ce qui pour lui donne du sens à la réalité en sont les deux principaux aspects.

III- Les conséquences de cette définition dans le champ politique

A- Réapprécier la violence aujourd’hui

Les personnes qui s’enfoncent progressivement dans la pauvreté, qui perdent peu à peu les moyens nécessaires à une vie digne, réagissent à la manière du corps que l’on étouffe : par le seul moyen à leur portée, qui peut être usage de la force. Il s’agit d’un mouvement naturel de survie, qui n’est pas violence. Ce n’est pas une violence moindre, ni une violence justifiée : ce n’est pas une violence du tout. Il s’agit simplement d’une réaction de survie à une violence subie.

« Ce sont les rois qui font les gouffres ; mais la main
Qui sema ne veut pas accepter la récolte ;
Le fer dit que le sang qui jaillit, se révolte. »

« Les révolutions ne sont que la formule
De l’horreur qui pendant vingt règnes s’accumule. »

Victor Hugo, « Ecrit en 1846, Les Contemplations

Dans le cadre de l’épidémie de coronavirus, on a présenté la situation comme étant une situation grave, une situation de crise, une situation de guerre. Dans un tel contexte, il eût fallu favoriser par tous les moyens l’accès à la représentation, afin de permettre de mettre du sens sur ce qui passait, pour pouvoir faire face à cette réalité, dite insoutenable. Or, c’est tout le contraire qui s’est produit : l’accès à l’instruction, aux livres, au théâtre, à l’art a disparu.

Pour finir, évoquons brièvement la violence intrinsèque du capitalisme. Celui-ci est fondé sur la recherche du profit, donc de l’efficacité maximale, à laquelle sont sacrifiés les autres aspects de la vie du travailleur ainsi que le sens qu’il pourrait trouver dans son travail. Pour le système capitaliste, l’humain n’est qu’une ressource (que l’on songe à la notion de « ressources humaines » !), ce qui est d’une violence extrême par rapport aux désirs et à la dignité de l’homme.

B- Réagir à la violence

Des tentatives anciennes ont eu lieu pour réfléchir à la question du mouvement naturel de l’homme et à son droit naturel. Le premier cas est celui du droit de nécessité, défendu par Saint Thomas d’Aquin. Il s’agissait d’affirmer le droit de l’affamé à voler son pain, en vertu de son droit à survivre – donc à réagir à la violence affectant ses besoins.

Par la suite a été développé le droit à l’insurrection, que l’on voit apparaître par exemple dans la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1793. L’article 34 dit que « Il y a oppression contre le corps social lorsqu’un seul de ses membres est opprimé. Il y a oppression contre chaque membre lorsque le corps social est opprimé. ». L’article 35 le complète : « Quand le gouvernement viole les droits du peuple, l’insurrection est pour le peuple et pour chaque portion du peuple le plus sacré des droits et le plus indispensable des devoirs. ». Le droit à l’insurrection, au fond, englobe et dépasse le droit de nécessité, aussi bien en termes de causes (il inclut toutes les violences, aussi bien liées au besoin qu’au désir) qu’en termes de moyens (l’insurrection).
On peut y voir une tentative de légiférer sur l’usage de la force en réaction à la violence, de protéger cet usage de la force, avec l’idée qu’il pouvait être condamné.

CONCLUSION

La violence est donc ce qui empêche un mouvement naturel de s’accomplir, donc ce qui s’en prend à la capacité de satisfaire un besoin aussi bien que ce qui s’en prend à la capacité à générer du symbolique. Réduire la violence à la force est dangereux, cela efface la violence la plus dévastatrice et la plus sournoise.


Version courte

Eliminons deux définitions problématiques.

La violence ne peut pas être considérée comme un trait naturel de l’homme, faute de tomber dans la position absurde : « l’homme libre est violent, la violence détruit la liberté, donc il faut des entraves, plus il y a d’entraves moins il est libre, moins il est violent donc plus il est libre ».
L’usage de la force, lui, peut être naturel (réflexe de défense du corps qu’on étouffe), donc il n’est pas réductible à la violence.

Par conséquent, proposons la définition suivante : la violence est ce qui empêche un mouvement naturel de s’accomplir. Pour savoir ce qu’est la violence, il nous faut donc définir ce qu’est le mouvement naturel de l’homme. Celui-ci peut prendre deux formes : le désir et le besoin. Le besoin est lié à la survie et à la réalité, le désir est lié à ce qui donne du sens à la vie et au symbolique. Le symbolique comprend l’ensemble de ce qui permet de donner du sens, de servir d’intermédiaire entre l’individu et la réalité (culture, art, langage…).
La violence liée aux besoins (empêcher quelqu’un de manger, de boire, etc.) est assez évidente. Celle liée au désir est plus sournoise et difficile à identifier. Elle peut prendre plusieurs formes dont les principales sont :

  • Refuser de reconnaître autrui dans sa dignité d’homme (« il y a des gens qui ne sont rien ») ou dans son désir.
  • Contraindre l’individu à être collé au réel, à lui faire face sans médiation (individu plongé dans une situation de guerre, dont l’horreur le submerge, à laquelle il ne peut pas donner de sens, ce qui crée le traumatisme).
    La violence est donc ce qui empêche le mouvement naturel de l’homme de s’accomplir, donc ce qui s’en prend au besoin aussi bien qu’à la capacité à générer du symbolique.

Dans le contexte actuel, des personnes qui, se voyant peu à peu privées des moyens d’une vie digne, se révoltent et qui, se révoltant, provoquent des destructions ne sont pas violentes. Il s’agit d’un réflexe de survie, de l’expression ultime du mouvement naturel de l’humain, donc d’un usage de la force qui, provoqué par la violence (du système), n’est pas violence. Ce n’est pas une violence moindre, ni une violence justifiée : ce n’est pas une violence du tout. Il s’agit simplement d’une réaction de survie à une violence subie.
Ce type de réaction provient d’ailleurs de la violence intrinsèque du système capitaliste qui, gouverné par la recherche d’efficacité, sacrifie la vie du travailleur et le sens qu’il peut y trouver.

En réponse à cette violence ont été théorisés plusieurs outils : le droit de nécessité (droit de voler son pain si l’on meurt de faim), prolongé plus tard par le droit à l’insurrection (élargi à l’ensemble des violences et non plus à celles affectant les besoins).

CONCLUSION

La violence est donc ce qui empêche un mouvement naturel de s’accomplir, donc ce qui s’en prend à la capacité de satisfaire un besoin aussi bien que ce qui s’en prend à la capacité à générer du symbolique. Réduire la violence à la force est dangereux, cela efface la violence la plus dévastatrice et la plus sournoise.



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pour se libérer, du système mafieux politico-financier de la 5° République, ensuite de cette Europe qui veut imposer son nouvel ordre mondial.


Avec tous les citoyens de bonne volonté pour un monde meilleur.

Vive le RIC, premier pas vers une véritable démocratie, pour un gouvernement provisoire de transition, et la réorientation de tous les secteurs vers le bien commun.

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