Nous pouvons maintenant passer rapidement sur les faits accomplis pendant le siĂšge.

Quand on connait les acteurs, on n’a pas besoin de voir la piĂšce, pour savoir comment elle sera jouĂ©e.

Le siĂšge, je n’ai pas l’intention de le raconter. Il peut se rĂ©sumer ainsi : En haut, trahison, incapacitĂ©, lĂąchetĂ©, haine du peuple ; en bas, hĂ©roĂŻsme, abnĂ©gation, haine des Prussiens, amour de la RĂ©publique, mĂ©pris profond du gouvernement.

Ce peuple de Paris aurait pu ĂȘtre le soldat de la France. C’est qu’en effet, si le gouvernement de la dĂ©fense nationale a Ă©tĂ© criminel, si la Commune, plus tard, a commis des fautes graves, malgrĂ© les intentions les plus pures et les plus Ă©levĂ©es, le peuple de Paris, pendant sept mois, a Ă©tĂ© admirable, et s’est montrĂ© constamment grand, joignant aux plus magnifiques Ă©lans du cƓur, des conceptions vraiment politiques qui resteront comme un phare lumineux pour l’avenir.

Pendant qu’on le trahissait, le bombardait, ce peuple Ă©laborait la grande idĂ©e du dix-neuviĂšme siĂšcle, et trouvait la formule exacte de la souverainetĂ© populaire.

L’expĂ©rience est faite, dĂ©sormais, on se rappellera que la garde nationale parisienne, malgrĂ© le gouvernement, malgrĂ© les gĂ©nĂ©raux, malgrĂ© leurs soldats, a tenu les Prussiens cinq mois sous les murs de Paris, et transformĂ© l’occupation des Champs-ElysĂ©es, consentie par Jules Favre, en une vĂ©ritable humiliation pour Guillaume et Bismarck.

Le gouvernement montra, d’abord, quelque forfanterie. Jules Favre jura qu’il ne cĂšderait « ni un pouce de territoire, ni une pierre de forteresse » comme Trochu, dĂ©cidĂ© Ă  la capitulation, jurait huit jours avant cette capitulation, que « le gouvernement de Paris ne capitulerait jamais ! ». Comment auraient-ils pu sauver l’honneur du pays, ces gens qui faisaient ainsi fumier de leur propre honneur.

Paris devint un vaste camp oĂč, nuit et jour, un peuple entier veillait en armes sur le salut de la citĂ©. Ajoutons que la plupart Ă©taient mal vĂȘtus, n’ayant ni capotes, ni peaux de moutons, ni paille comme les soldats, passaient les nuits aux remparts, sans dormir, exposĂ©s aux rigueurs d’un froid exceptionnel. Quelques-uns moururent de maladies contractĂ©es de la sorte, mais l’immense majoritĂ© ne souffrit point de ce rĂ©gime. Il fallut bientĂŽt ajouter Ă  toutes ces fatigues, le manque de nourriture ou une nourriture insuffisante.


En effet, le gouvernement n’ayant jamais voulu procĂ©der au rationnement des provisions entassĂ©es dans Paris, ni consentir Ă  en faire la distribution Ă©quitable et gratuite Ă  tous les citoyens, il y eu bientĂŽt, parmi les personnes sans fortune, une misĂšre cruelle.

Ce fut donc bien le peuple, le peuple seul, qui voulut la rĂ©sistance quand bien mĂȘme, la guerre Ă  outrance, malgrĂ© la mauvaise volontĂ© du gouvernement, malgrĂ© les milles souffrances qu’on lui imposait Ă  dessein pour l’amener Ă  la lassitude. Plus on le poussait vers la capitulation, plus il se raidissait pour la bataille. Trochu annonça d’un air triomphant que les prussiens allaient enfin commencer le bombardement, ce fut presque une joie dans Paris. Ils vont nous bombarder, s’écria un ouvrier ; allons tant mieux ! ça nous rĂ©chauffera ! et la foule se mit Ă  rire.

Pour complĂ©ter l’aspect de Paris pendant le siĂšge, il faut parler des femmes, qui furent admirables, quoique souffrant infiniment plus que les hommes. Elles promirent, alors, ce qu’elles devaient tenir ensuite pendant la Commune. Les femmes donnĂšrent tous les exemples de courage, d’abnĂ©gation, d’hĂ©roĂŻsme.

Elles aussi voulaient la rĂ©sistance Ă  outrance, la sortie en masse. Le mari n’eĂ»t pas osĂ© hĂ©siter devant sa femme, exprimer une crainte ou une hĂ©sitation. On les vit partout ces femmes de cƓur — celles que le Figaro appelait la femelle du fĂ©dĂ©rĂ© — dans l’ambulance, aux avant-postes sous les balles, aux cantines sous les bombes, et pas une ne demanda la capitulation.



Elles eurent, d’ailleurs, leur rĂ©compense. Versailles les traita comme les hommes dont elles avaient partagĂ© les dangers et les vertus, il les assassina !

Tel fut le peuple de Paris, pendant le premier siĂšge.


Le peuple se sent trahi.

Cependant la colĂšre et le dĂ©goĂ»t montaient de cƓur au cerveau et menaçaient d’ajouter, dans Paris, les horreurs de la guerre civile aux horreurs de la guerre Ă©trangĂšre. Les illusions tombaient une Ă  une, il devenait Ă©vident que le gouvernement ne voulait rien faire, perdait du temps, gaspillait les vivres et nous conduisait fatalement au jour oĂč, faute de pain, il faudrait ouvrir aux Prussiens les portes de la capitale.

On savait que Thiers parcourait les cours d’Europe, faisait faire antichambre chez les rois Ă  la France humiliĂ©e, Ă  la RĂ©publique dĂ©shonorĂ©e. On savait que de telles mains ne nous rapporteraient que de la honte, qu’entre ce reprĂ©sentant de la rĂ©action la plus forcenĂ©e et la plus fĂ©roce, et les rois, nos ennemis, il ne pouvait se tramer que d’odieux marchandages aboutissant Ă  la perte du peuple. On frĂ©missait de voir dans Paris, trois Ă  quatre cent mille hommes armĂ©s, rĂ©duits Ă  l’inaction, Ă  l’impuissance, quand ces hommes offraient, pour la plupart, leur Ă©nergie et leur dĂ©vouement sans compter.

Deux catastrophes hĂątĂšrent l’explosion : le massacre du Bourget et la capitulation de Metz, livrĂ©e par Bazaine. A ces calamitĂ©s, le gouvernement, joignit le plus mĂ©prisable et le plus audacieux des mensonges en niant impudemment cette capitulation dans le journal officiel. Le lendemain il fut contraint de faire afficher la mauvaise nouvelle sur tous les murs de la ville.

Nous sommes arrivés au 31 octobre.


Encore et toujours, les bourgeois, les nantis, les capitalistes sont du cĂŽtĂ© de leurs intĂ©rĂȘts. Les vertus patriotiques des droites volent en Ă©clats quand ils sentent que le peuple peut prendre le pouvoir, que leur fibre nationale ne suffit plus Ă  tromper le monde. La mĂȘme attitude a Ă©tĂ© employĂ©e en 1939 avec la drĂŽle de guerre et la dĂ©bĂącle organisĂ©e de juin 1940.

On voit la mĂȘme chose Ă  plus grande Ă©chelle avec la construction anti dĂ©mocratique de l’Europe de la finance, qui a mis en chantier la disparition des nations et des peuples, pour une sociĂ©tĂ© ultra libĂ©rale, homogĂšne et plus servile. JPM



(c) D’aprùs le livre de Arthur ARNOULD, journaliste et conseiller municipale de la Commune.
Histoire populaire et parlementaire de la Commune de Paris, Ă©ditions Respublica.


Voir la suite : Chapitre 5 - Le 31 octobre – le 22 janvier

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