Ce que j’affirme d’une façon certaine, c’est que les bons citoyens qui tentĂšrent ce mouvement avaient pour eux le droit et la vĂ©ritĂ©, c’est que la RĂ©publique et la France eussent probablement Ă©tĂ© sauvĂ©es, si le mouvement avait rĂ©ussi.

Faute de plan d’entente prĂ©alable, par suite surtout de la gĂ©nĂ©rositĂ© intempestive des insurgĂ©s, qui, recommençant alors la faute commise dĂ©jĂ  le 4 septembre, laissĂšrent fuir les adversaires qu’ils tenaient sous la main, le mouvement Ă©choua et le gouvernement vainqueur profita de sa victoire pour violer toutes ses promesses, tous ses serments.

Les Favre et Trochu remplacĂšrent l’élection promise par un vote de confiance qui confirma leurs pouvoirs. Tout Ă©tait perdu et bien perdu.

NĂ©anmoins l’action sert toujours Ă  quelque chose. Le mouvement du 31 octobre, mĂȘme vaincu, contraignit le gouvernement Ă  l’organisation des bataillons de marche, mit fin aux pourparlers d’armistice, et prolongea le siĂšge de façon, du moins, Ă  sauver l’honneur du peuple de Paris. Le Peuple n’a que ça : il y tient !

Puisque le pain va manquer, disait-on, il n’y a plus Ă  hĂ©siter ; il faut tenter un suprĂȘme effort, rĂ©unir toutes les forces viriles de la dĂ©fense pour faire une trouĂ©e et aller rejoindre les armĂ©es de la province. Sauvant de la sorte leurs armes et leur libertĂ©, et apportant leur concours aux autres dĂ©fenseurs organisĂ©s par Gambetta.


Pendant que les hommes armĂ©s de la grande citĂ© nourrissaient ces projets hĂ©roĂŻques, pendant qu’ils rĂ©clamaient la guerre Ă  outrance, la sortie en masse, et prĂ©fĂ©raient la mort Ă  la honte, le gouvernement agissait sur l’armĂ©e rĂ©guliĂšre. Par une propagande de dĂ©moralisation, les officiers dĂ©montraient Ă  leurs soldats que la rĂ©sistance Ă©tait inutile et leur faisaient crier : Vive la paix. Ils excitaient la jalousie et les colĂšres de l’armĂ©e contre la garde nationale, on laissait Ă  dessein, les rĂ©giments aux avant-postes, accablĂ©s de fatigue, en leur disant que la garde nationale refusait de les relever. Ce lent travail de calomnie, cette odieuse conspiration, ne tardĂšrent pas Ă  porter ses fruits.

On arriva de la sorte au 19 janvier.

La capitulation Ă©tait rĂ©solue depuis longtemps dans les conseils du gouvernement, et peut-ĂȘtre dĂ©jĂ  convenue officieusement avec Bismark. Il fallait la hĂąter. Pour cela on ne trouva qu’un moyen : envoyer au feu la garde nationale elle-mĂȘme, lui faire faire cette fameuse sortie. EspĂ©rant que la garde nationale fuirait devant les Prussiens, et qu’une fois dĂ©shonorĂ©e, elle accepterait avec reconnaissance la capitulation dĂ©cidĂ©e.

La garde nationale, cette armĂ©e de volontaires de tous horizons, s’y montra magnifique d’élan ; sans canons, mal commandĂ©e, ou trompĂ©e Ă  dessein, elle enleva toutes les positions ennemies et conquit l’admiration mĂȘme de ces soldats qu’on excitait contre elle depuis plusieurs mois.

Guillaume épouvanté fit, ce jour-là, ses malles à Versailles.

Trochu, complĂ©tement déçu dans ses espoirs, fit sonner la retraite au milieu de la victoire, la garde nationale n’avait pas fui ! Avait Ă©tĂ© victorieuse ! la garde nationale rentra exaspĂ©rĂ©e, et, de Paris entier, il se leva un cri immense, unanime : « Ă  bas Trochu ! » Le gouvernement avait produit l’effet contraire de ce qu’il espĂ©rait. Dans cette sortie, les citoyens avaient pris confiance en eux-mĂȘmes. Ils se sentaient, dĂ©sormais, preuves en mains, de taille Ă  lutter contre les Prussiens. Partout oĂč vivait la foi dĂ©mocratique, on cherchait les moyens d’éviter une capitulation, rĂ©sultat du plan Trochu, une conspiration contre la RĂ©publique. En tout cas, on ne risquait rien qui fut pire que la capitulation dĂ©cidĂ©e par le gouvernement.

Dans le courant de janvier, les membres de l’Alliance rĂ©publicaine, c’était une sociĂ©tĂ© d’action, qui ne s’amusait pas aux niaiseries et aux bavardages du parlementarisme. Les membres de l’Alliance crĂ©Ăšrent une commission, elle fut chargĂ©e de diverses dĂ©marches ayant pour but de se renseigner sur l’état vrai de la situation militaire et de chercher un homme qui put remplacer le gĂ©nĂ©ral Trochu Ă  la direction du siĂšge. AprĂšs avoir entendu son rapport, la rĂ©union de l’Alliance dĂ©cida qu’il n’y avait plus rien Ă  attendre du monde officiel, et que le salut ne pouvait venir que d’un grand mouvement populaire reprenant l’Ɠuvre du 31 octobre, et remettant la direction aux forces rĂ©volutionnaires.

On rĂ©digea donc une proclamation signĂ©e des noms de tous les membres de l’Alliance. Cette proclamation demandait l’élection d’une assemblĂ©e communale qui eĂ»t assumĂ© la responsabilitĂ© d’une nouvelle direction des opĂ©rations militaires.

Ensuite nous avions lieu de croire que les approvisionnements de Paris n’étaient pas aussi complĂ©tement Ă©puisĂ©s qu’on l’affirmait. On disait que Gambetta se faisait fort d’avoir les moyens de continuer, en effet, on savait que la France Ă©tait loin d’ĂȘtre Ă©puisĂ©e en hommes, en argent, en ressources de toute nature.

AprĂšs avoir pesĂ© toutes ces considĂ©rations, on rĂ©solut donc d’agir. La proclamation votĂ©e, fut imprimĂ©e et affichĂ©e le 22 janvier, au matin.

Deux nouvelles connues le matin mĂȘme du 22 janvier, contribuĂšrent Ă  faire avorter le mouvement. Ces deux nouvelles, c’étaient la dĂ©mission de Trochu, mais le gouvernement restait au pouvoir, et la dĂ©livrance de Flourens. Ces deux nouvelles modifiĂšrent considĂ©rablement le mouvement de l’opinion publique.

Trochu n’est plus gouverneur de Paris ! D’autre part, en apprenant que Flourens avait recouvrĂ© sa libertĂ©, l’inquiĂ©tude prit la bourgeoisie, pour qui ce nom Ă©tait un Ă©pouvantail.

Les uns chantant parce que Trochu n’était plus lĂ , et les autres rentrant chez eux parce que Flourens les effrayait, la foule fut peu nombreuse sur la place de l’hĂŽtel de Ville, et peu de gardes nationaux se trouvĂšrent au rendez-vous. En dehors des curieux, parmi lesquels beaucoup de femmes et d’enfants, il n’y avait lĂ  qu’un dĂ©tachement de gardes nationaux du 61° bataillon. Une certaine agitation fut causĂ©e par l’arrivĂ©e d’une colonne de gardes nationaux qui allĂšrent s’aligner devant les grilles de l’hĂŽtel de ville. Ils Ă©taient peu nombreux mais l’air rĂ©solu, c’était le contingent des Batignolles.



Quelques secondes s’étaient Ă  peine Ă©coulĂ©es, lorsqu’une dĂ©charge effroyable, partie de l’hĂŽtel de ville, alla semer la mort parmi cette foule inoffensive de curieux, de femmes et d’enfants. Thiers n’eĂ»t pas fait mieux. C’était dĂ©jĂ  son systĂšme. Cela fut si imprĂ©vu et si odieux tout Ă  la fois, que la foule resta d’abord stupide et comme hĂ©bĂ©tĂ©e, avant de songer Ă  prendre la fuite.

AprĂšs cette dĂ©charge, les gardes nationaux s’embusquĂšrent de cĂŽtĂ© et d’autre, et, pendant une demi-heure, ce fut un feu roulant, puis les coups cessĂšrent.

Tel fut le 22 janvier.

Comme tĂ©moin oculaire, prĂ©sent sur le lieu de l’action, Je dĂ©clare que cette effroyable fusillade ne fut prĂ©cĂ©dĂ©e d’aucune sommation. Je dĂ©clare qu’à ce moment il n’avait pas Ă©tĂ© tirĂ© un seul coup de feu par les gardes nationaux, et que deux dĂ©lĂ©guĂ©s parlementaient pour ĂȘtre introduits auprĂšs des membres du gouvernement.

C’était en effet, un premier avis aux Parisiens, que la guerre Ă©tant finie, la France livrĂ©e aux Prussiens, leur tour allait venir. Pour cimenter leur pacte infĂąme, on jetait sur le pavĂ© sanglant les cadavres de quelques citoyens français.

Pendant que le crime s’accomplissait, rien ne saurait rendre le dĂ©sespoir de Delescluze. Cet homme stoĂŻque, tout de fer, qui ne plia ni ne recula jamais et qui mourut, comme on sait. C’est lĂ , sur cette place qu’il dit ces paroles rĂ©pĂ©tĂ©es, depuis, par lui, Ă  la Commune : Si la RĂ©volution succombe encore une fois, je ne lui survivrai pas ! il tint son serment.

Le 22 janvier, Chaudrey commandait seul à l’hîtel de ville.


On ne peut pas faire confiance aux gouvernements ! S’ils se sentent menacĂ©s ils dĂ©clenchent une rĂ©pression violente, le sang du peuple ne leur fait pas peur. Ils dĂ©tiennent la force lĂ©gitime puisque la police et l’armĂ©e sont au service de l’Etat et pas Ă  celui du peuple.

Sans un plan prĂ©cis, autour d’un projet clair, avec l’union de tous les mouvements dĂ©mocrates, le soutien populaire et une stratĂ©gie de basculement par l’impulsion minoritaire d’une masse critique, aucun changement possible.

Il est essentiel pour la démocratie et la liberté que les affaires publiques soient contrÎlées par une assemblée citoyenne qui prime sur tout, et que toutes les personnes qui ont un rÎle dans la gouvernance aient un mandat impératif et révocable.

Pour ĂȘtre heureux vraiment, faut plus de gouvernement ! JPM



(c) D’aprùs le livre de Arthur ARNOULD, journaliste et conseiller municipale de la Commune.
Histoire populaire et parlementaire de la Commune de Paris, Ă©ditions Respublica.


Voir la suite : Chapitre 6 - La capitulation, les Ă©lections

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