Chapitre 3 - Les hommes du gouvernement

7 February, 2021, 10:00 am blog-header-image

En dehors de Henri Rochefort, qui donna sa démission au 31 octobre, et de Gambetta qui dÚs le début, avait quitté Paris pour aller organiser la défense en province, il y avait Trochu, Jules Favre, Jules Simon, Picard et Jules Ferry.

Le reste ne vaut pas la peine qu’on le nomme, sauf Dorian, qui dĂ©ploya de vĂ©ritables qualitĂ©s de travail, d’organisation et de dĂ©sintĂ©ressement, mais qui n’exerça aucune action politique et dont le caractĂšre ne fut pas Ă  la hauteur de ses autres qualitĂ©s.


De ces cinq larrons de la victoire populaire, deux Ă©taient des hommes-liges du jĂ©suitisme : Trochu et Jules Favre. Trochu est soldat, catholique et Breton, c’est-Ă -dire le triple ennemi-nĂ© du peuple, de la RĂ©publique et de la dĂ©mocratie, la nĂ©gation faĂźte homme de toutes les aspirations modernes. Ce fut celui-lĂ  Ă  qui les autres confiĂšrent la prĂ©sidence du gouvernement et la dĂ©fense de Paris.

Trochu est un sot de province, un sot mystique, en dedans, qui croit Ă  la vierge. Sa vanitĂ© est une vanitĂ© pieuse et maladive, massive et timide, compacte, Ă©paisse, lourde, cuirassĂ©e et chagrine, qui se dĂ©vore elle-mĂȘme. Ajoutez Ă  cela une intelligence nulle et asservie Ă  la consigne du prĂȘtre ; un esprit oĂč, ce qu’il y a de pire au monde, l’irrĂ©solution Ă©gale l’entĂȘtement. Et enfin la terreur folle de la RĂ©volution, la conviction chrĂ©tienne que toute rĂ©volte contre l’autoritĂ© est le plus abominable des pĂ©chĂ©s, et que le peuple de Paris Ă©tait un grand coupable que Dieu frappait avec la verge des Prussiens.

Derriùre tout cela, l’Eglise !

DerriĂšre Trochu se dressait Jules Favre, Jules Favre le faussaire, bientĂŽt Ă©claboussĂ© du sang de MilliĂšre, qui avait rĂ©vĂ©lĂ© ses faux. Spiritualiste, mystique et catholique lui aussi, il allait Ă  confesse, communiait, vivait en concubinage avec une femme mariĂ©e, et, afin de s’enrichir, marquait d’un faux la naissance de chacun de ses enfants adultĂ©rins.

Jules Favre a longtemps trompĂ© l’opinion publique. On connaissait pourtant sa conduite Ă  Lyon, lors du procĂšs d’avril, oĂč il se sĂ©para de tous ses collĂšgues de la dĂ©fense. On connaissait sa conduite en 1848, et l’on savait avec quel fiel il avait bassement poursuivi les hommes du parti socialiste. On savait qu’il avait combattu la candidature de Rochefort, et qu’il n’était passĂ©, au second tour de scrutin, que grĂące Ă  l’appoint des voix bonapartistes. Enfin, un certain nombre d’hommes du parti rĂ©publicain n’ignoraient pas sa vie privĂ©e, et gardaient le silence. D’autres aussi possĂ©daient son secret : les agents de l’Eglise et les gens des Tuileries.

En dehors de cela, Jules Favre est de nature bilieuse et envieuse, un bourgeois forcenĂ©. Le 4 septembre le dĂ©rangea donc considĂ©rablement, en l’arrachant Ă  la plus commode et Ă  la plus douce des positions. Chef de la gauche au corps lĂ©gislatif, il ne pouvait dĂ©sirer et ne dĂ©sirait, en effet, que la continuation du rĂ©gime qui lui assurait une situation dont l’importance dĂ©passait de beaucoup son courage et son mĂ©rite. Sa vanitĂ©, sa bourse et son mĂ©pris du peuple y trouvaient Ă  la fois leur compte. Il vivait bien, ne courait aucun risque, rĂ©coltait une facile popularitĂ©, et tenait la place de gens qui valaient cent fois mieux que lui.

La plupart des vieux hommes politiques, qui ont fait de la politique un mĂ©tier, qui se sont installĂ©s dans une opposition de carton, comme le rat dans un fromage, ont cette vile terreur et cette animositĂ© misĂ©rable contre les lutteurs qui se font un nom Ă  leurs cĂŽtĂ©s, et menacent de gĂąter le mĂ©tier, en y apportant plus de passion, plus de sincĂ©ritĂ© et de talent. De ce cĂŽtĂ©, l’Empire le rassurait amplement. A ce rĂ©gime bĂątard, artificiel et pourri, il fallait cette opposition bĂątarde, artificielle et pourrie. L’Empire n’en eĂ»t pas permis une autre.

Tel Ă©tait l’homme que le 4 septembre mena Ă  l’hĂŽtel de ville, et qui fut chargĂ© de reprĂ©senter la France devant l’Europe malveillante et devant les Prussiens rĂ©solus Ă  notre perte. Comme Trochu, dĂšs qu’il vit qu’on ne pourrait vaincre que par le peuple, et que la victoire serait la victoire du peuple, il prĂ©fĂ©ra la dĂ©faite, et livra Paris Ă  la suite d’une fausse famine.

Jules Simon n’appartient pas au jĂ©suitisme, par imbĂ©cilitĂ©, Ă  la façon de Trochu, ni par un mĂ©lange d’intĂ©rĂȘt et de religiositĂ©, ainsi que Jules Favre. Non, Jules Simon est nĂ© jĂ©suite, comme on nait poĂšte. Le jĂ©suite, en effet n’est pas seulement le produit d’une savante organisation clĂ©ricale, c’est aussi une nature, un tempĂ©rament, une façon d’ĂȘtre du cerveau.

Du jĂ©suite, Jules Simon, a la duretĂ© implacable, les maniĂšres doucereuses, le sourire affable, la parole caressante, le cƓur vindicatif, l’esprit toujours tendu vers un but unique. Pour Jules Simon, ce but, c’est le pouvoir. Comme d’ailleurs, il n’est pas aussi fier qu’il est ambitieux, il se contente, suivant l’occasion, d’une place de laquais rĂ©actionnaire au ministĂšre de l’instruction publique avec Thiers ou Ă  l’intĂ©rieur avec Mac-Mahon.

La RĂ©volution du 4 septembre venue, il se dit, en homme de ressource qu’il est, qu’il n’en aurait pas moins un ministĂšre. Ce qui est bon Ă  prendre, est toujours bon Ă  garder. L’histoire de Jules Simon, pendant l’Empire, est l’histoire de ces dames de charitĂ© qui s’enrichissent en quĂȘtant pour les pauvres (Nous connaissons de nos jours la collecte des piĂšces jaunes). Fort effacĂ© Ă  la chambre comme orateur, il ne s’entĂȘta pas inutilement Ă  se faire une popularitĂ© Ă  la tribune. Il se tourna d’un autre cĂŽtĂ©, plus lucratif, et ouvrit une boutique d’édition. Il travailla dans le socialisme de salon, et vĂ©cu des misĂšres de l’ouvrier, de l’ouvriĂšre, de l’enfant par ses livres Ă  5 francs. Ces ouvrages le faisait bien voir de la bourgeoisie qui les achetait, sans le compromettre aux yeux des ouvriers qui ne les lisaient pas.

Cela lui rapportait donc Ă  tous points de vue. AprĂšs l’homme d’église, il n’y a rien de mieux qu’un professeur de philosophie spiritualiste, pour comprendre le maniement des intĂ©rĂȘts de ce monde. Parler du bon Dieu, de l’ñme immortelle et du devoir, est toujours un excellent moyen de gagner de l’argent et de faire un bon mariage. Tant qu’on est dans l’opposition, on passe pour un saint ; quand on n’y est plus, on fait dĂ©porter ou fusiller ceux qui rĂ©clament et se prĂ©tendent volĂ©s.



Avec Ernest Picard, nous entrons dans une autre catĂ©gorie. Nous passons du jĂ©suite au cynique. Nous devons rendre cette justice Ă  Picard, il n’a jamais trompĂ© son monde, ni filoutĂ© sa popularitĂ©.

Ernest Picard Ă©tait la reprĂ©sentation exacte du bourgeois frondeur, mais prudent, du nĂ©gociant parisien qui se paie volontiers le luxe de taquiner le gouvernement, sans intention de le renverser, et peut-ĂȘtre mĂȘme sans un dĂ©sir bien vif de l’amender. Le bourgeois de Paris aime Ă  picoter les ministres qui le vexent toujours un peu, en tant que reprĂ©sentants de l’autoritĂ©.

Cette histoire est l’histoire du boutiquier parisien, et Picard Ă©tait l’expression exacte de cette opposition qui n’est en somme, qu’une niche et une polissonnerie. Ventru, replet, rebondi, homme d’esprit au demeurant, il reprĂ©sentait Ă  merveille le type de l’égoĂŻste florissant et sans vergogne. Il craignait naturellement les coups ; avait une profonde antipathie contre les obus ; exĂ©crait le pain d’avoine, le veau malade et le cheval maigre, et ne trouvait aucun charme Ă  la sublime horreur de la canonnade.

Avec Picard, nulle illusion. On savait qu’il livrerait Paris, dùs qu’il aurait peur, et qu’il aurait peur tout de suite, mais il passait dans le tas, et on se disait ; Aprùs-tout ce n’est qu’une voix !

Picard ne trompa point l’attente du peuple. Dans les conseils du gouvernement, il se prononça contre une rĂ©sistance insensĂ©e et malsaine, demanda l’armistice, jusqu‘au jour oĂč, changeant le mot, il demanda la capitulation.

Aprùs Picard nous tombons jusqu’à Jules Ferry !

Tout le monde connait Jules Ferry, une tĂȘte de garçon de cafĂ© ! Il s’est fait une notoriĂ©tĂ© pour avoir taquinĂ© Haussmann dans le Temps, journal orlĂ©aniste, et les Ă©lecteurs le choisirent pour ne point nommer Adolphe GuĂ©roult, un bonapartiste, ou Cochin, un catholique. Au corps lĂ©gislatif il fut de la gauche ; cela rapportait autant que d’ĂȘtre de droite. A l’hĂŽtel de ville, il n’eut qu’une idĂ©e : devenir prĂ©fet de la Seine. Il le devint qu’un quart d’heure. Quand, Paris, livrĂ©, Versailles se leva Ă  l’horizon, il devint Versaillais.

On l’accusa d’avoir tripotĂ© sur les approvisionnements de Paris, et arrondi sa bourse aux dĂ©pends des Parisiens imbĂ©ciles qui mourraient de faim pour dĂ©fendre la RĂ©publique et la patrie. Il a Ă©tĂ© ambassadeur, il sera ministre un jour ou l’autre.


Dans la coulisse, Ă  distance des grands rĂŽles, il reste un dernier personnage, que je tiens Ă  faire connaitre, parce que ça complĂ©tera la moralitĂ© de ce tableau. Ce personnage c’est M Clamageran, petit homme tout rond et blafard, bĂąti comme un boudin, le teint d’un fromage mou, l’air idiot, et plus idiot que son air. On lui confia la mission d’étudier spĂ©cialement les questions relatives Ă  la boucherie.

Voyons les preuves de sa capacitĂ©, de sa gastrite et de son dĂ©vouement. On discuta immĂ©diatement, dans ces rĂ©unions, la question des vivres et de leur Ă©quitable rĂ©partition. M Clamageran fit Ă  peu prĂšs connaitre le nombre d’animaux de boucherie dont disposait la ville. Des animaux dĂ©jĂ  malades pour la plupart, faute de soins, reprĂ©sentant selon ses dires, l’alimentation de 5 Ă  6 semaines. Il n’ait pas songĂ© Ă  faire la statistique des chevaux, trouvant cette ressource insignifiante. Or sur les 5 mois de siĂšge, la population a vĂ©cu de cheval pendant environ 3 mois.

Voilà pour la capacité !

Voici maintenant pour la gastrite :

Quelques jours aprĂšs, on discuta le rationnement immĂ©diat, et sa distribution uniforme Ă  chaque citoyen. M. Clamageran combattit cette mesure, dĂ©clarant qu’il y avait des estomacs dĂ©licats qui ne pouvaient s’accommoder de tous les morceaux. Quant Ă  moi qui ai l’estomac fort malade, et qui mange peu, je prĂ©fĂšre un petit filet Ă  un gros morceau ordinaire. Il faut donc laisser Ă  chacun la libertĂ© de choisir en payant le prix. A quoi bon rationner, le rationnement se fera tout naturellement par la chertĂ© qui en diminuera la consommation, sans porter atteinte au grand principe de la libertĂ© du commerce. En effet, il n’y avait qu’à laisser faire la spĂ©culation et il n’y aurait que les millionnaires et les membres du gouvernement et M. Clamageran qui pourrait s’en procurer.

Comme on avait oubliĂ© les chevaux, il s’ouvrit partout des dĂ©bits de viande de cheval et la population s’y prĂ©cipita. Le gaspillage fut effroyable pendant quelques temps.

M. ClamagĂ©ran, pour cette fois en mit en colĂšre. << Nous avons bien assez de mal avec la viande de boucherie ! s’écria-t-il. Si nous nous mettons Ă  rationner la viande de cheval, ce sera encore une foule de nouveaux ennuis. Vous voulez donc me tuer ! Laisser vendre le cheval comme on voudra !

VoilĂ  pour le dĂ©vouement. C’est dans de semblables conditions, c’est avec de pareils chefs et de pareils administrateurs, que le peuple de Paris prolongea le siĂšge prĂšs de cinq mois, sans une heure de faiblesse, sans une plainte pour toutes les souffrances endurĂ©es au milieu d’un hiver exceptionnellement rigoureux.


On reconnaitra bien lĂ  une grande similitude avec la ‘’RĂ©publique en Marche’’, Ă  part le prĂ©sident mis en place par ses amis milliardaires et banquiers. Les opportunistes de tous bords rĂ©publicains, socialistes et petits bourgeois arrivistes qui ne pensent qu’à leur carriĂšre et au profit d’un carnet d’adresse, se sont prĂ©cipitĂ©s dans l’entreprise mensongĂšre de la Macronie. Des gĂ©nĂ©rations de profiteurs ont vĂ©cu de l’argent public, cumulĂ© les retraites et ont eu des trains de vie de privilĂ©giĂ©s, en se vantant de servir la France en public, mais les intĂ©rĂȘts particuliers en privĂ©.

Nous ne pourrons jamais transformer la sociĂ©tĂ© en gardant les politicards professionnels en place, ni en gardant une constitution qui nous emprisonne et nous tient Ă  l’écart des dĂ©cisions publiques. MĂȘme si nous aboutissons Ă  une dĂ©mocratie partiellement reprĂ©sentative, il sera impĂ©ratif que les Ă©lus soient rĂ©vocables, que le systĂšme ne soit plus prĂ©sidentiel et que des assemblĂ©es citoyennes contrĂŽlent l’Etat. Pour cela il faut Ă  minima que le RIC soit inscrit dans la constitution, ensuite c’est l’ensemble du peuple qui dĂ©cidera de l’évolution de la sociĂ©tĂ©. JPM



(c) D’aprùs le livre de Arthur ARNOULD, journaliste et conseiller municipale de la Commune.
Histoire populaire et parlementaire de la Commune de Paris, Ă©ditions Respublica.


Voir la suite : Chapitre 4 - Le Peuple de Paris pendant le premier siĂšge

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